LilyRobert
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Séverine Hubard
» LVSH — 021 «
May 9 — June 12, 2021
Opening: May 8, 2021, 11:55 am
English version in the press release - Link below
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Il y a ceux qui transforment la boue en or, l’or en valeur, la valeur en boites, les boites en tours, les tours en art. Séverine Hubard, quant à elle, clôt ce cercle et le métamorphose en cerceau vertueux ; et démontre avec quelle agilité elle le manipule dans sa première collaboration avec la galerie Lily Robert. Si son exposition intitulée LVSH semble interroger les liens unissant l’univers du luxe au monde de l’art, elle ne le fait pas en usant d’une critique abrupte, ni en recourant à une complaisante bienveillance, mais via le regard aiguisé de l’artiste qui cherche derrière les formes et les couleurs, qui dégivre les papiers glacés et démonte les constructions factices à l’équilibre précaire ; elle tend vers, ou revient à, un essentiel sculptural, fondateur et frondeur.
Ensemble d’objets présentés dans une galerie
Des élévations en guise de défis. À l’origine, se dressent des empilements de boîtes d’apparat Hermès, des accumulations de malles Louis Vuitton évoquant tout autant le voyage qu’un Paris fantasmé ; des assemblages qui ont la futilité du décoratif, telles des vanités de cartons morts, des tours de Babel altières. Séverine Hubard renverse les statuts et redonne une dignité perdue à ces mornes icônes. Mais il s’agit bien de défi, pas de dénonciation ou de défiance. Plutôt un jeu, une copie, reproduction illusoire, maquette, modèle réduit où l’imagination remplace l’argent. La publicité vend des sentiments artificiels, des codes, des images, crée des idoles, fabrique du pouvoir. En s’attaquant à une reprise de cette autorité, l’artiste procède à un détournement salvateur. Dépense improductive contre non-dépense productive, SH51 (Elle ; Lui ; et L’autre) et LVSH s’amusent des symboles pour mieux nous transporter et nous offrir le cœur qui vibre sous le fard et l’ornement. Ces colonnes nous apprennent à voir la beauté cachée au creux de tout objet, avec le bronze qui le dispute à la pierre de lave, au médium laqué, à la brique ou au plexiglass ; au chêne comme au sapin, au parpaing comme au miroir - véritable inventaire de matières ennoblies.
Angle adroit
S’il est question de révolte, de rébellion contre l’organisation, la droiture et leur cadre lénifiant, la force du travail réside précisément dans le maniement d’armes similaires. Les lignes droites, les formes simples, les aplats de couleurs deviennent des compagnons de renversement. Quand tout va de travers, il faut retracer les obliques, rappeler les fondamentaux. Séverine Hubard maîtrise parfaitement la mise en espace, le dialogue qui initie une sculpture dans un lieu donné, la place du regardeur face à ces accumulations de richesses paradoxales. Il est dès lors question de chutes permettant l’édification spirituelle et architecturale ; de matériaux trouvés, injustement dénigrés dévoilant l’harmonie magique de la forme et de la couleur. Retournement est une œuvre manifeste en ce sens. Elle exprime l’étonnante capacité de l’artiste à peindre avec ces rebuts, à composer avec la couleur, à ré-agencer le déterminé. Un retour aux racines de la sculpture primitive et primordiale, où l’on modèle avec ce que l’on a sous la main, où l’on se fait archéologue du présent.
Fusion-acquisition
Alors, Carl Andre vient donner un coup de main à Kurt Schwitters pour terminer son Merzbau, et le Bauhaus se fait enfin non-utilitaire. Et laissons de fait les frontières poreuses. Dans ces empilements, passions teintées d’insouciance enfantine, ne retrouvons-nous pas les rêves de grandeur, de semblables désirs de changement ; ne représentent-ils pas autant d’utopies éphémères ? Provenant de milieux hétérogènes, flirtant avec l’art populaire, les créations des publicitaires comme les empilages des riches propriétaires donnent matière, dans l’élégant travail de Séverine Hubard, à un enrichissement de l’esprit. SH51 (Elle) et SH51 (Lui) ne diffusent-ils pas, à ce propos, une lumière aussi réelle que symbolique, se faisant phares, repères et guides ? Il n’est pas étonnant de retrouver ainsi chez elle le goût de l’artisanat, du savoir-faire manuel, le plaisir de la construction et de la destruction créatrice. Peu importe d’ailleurs qu’elle partage avec ces instantanés, simples images, une même instabilité fragile ; son œuvre vise à l’éternité propre à l’art. C’est dans le contexte inhabituel pour elle de l’espace réduit de la galerie que sa formidable capacité à transcender le lieu se révèle ; dans ces limitations physiques se trament toute la force brute de son approche, et nous la dévoile en véritable or pailleuse du quotidien.
Benjamin Bianciotto